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19 juin 2025Pourquoi, dans nos économies interconnectées, continue-t-on à percevoir que le transport « n’apporte pas de valeur » ?
Un paradoxe contemporain
Jamais nos économies n’ont été aussi dépendantes du mouvement physique des marchandises et des personnes : e-commerce H24, chaînes d’approvisionnement en « juste-à-temps », livraisons de repas en 20 minutes… Pourtant, dans nombre d’entreprises et dans le débat public, la fonction transport reste vue comme un simple centre de coûts.
D’où vient ce décalage entre utilité vitale et faible reconnaissance ?
Un héritage industriel qui colle à la peau
Dans l’économie manufacturière du XXᵉ siècle, le transport n’était qu’un maillon final, externalisé, standardisé : le camion passait quand le produit était déjà fabriqué, voir déjà vendu. Résultat : les directeurs financiers ont appris à négocier le prix au kilomètre, pas à réfléchir au gain de valeur économique et commercial généré par la fiabilité des livraisons. Cette grille de lecture s’est perpétuée, même quand la mutation vers les services s’est accélérée dans les années 1990-2000…
Concurrence et guerre des prix
La déréglementation progressive des marchés de fret routier, maritime et aérien a accru la concurrence. Le transport est alors entré dans une logique « commodity » : on vend un kilomètre-tonne quasi interchangeable. Les marges se compressent. Les donneurs d’ordres comparent surtout (que) les tarifs, pas la valeur du service apportée (ponctualité, traçabilité, flexibilité). Ce phénomène auto-alimente la perception que le transport « coûte », mais « n’enrichit » pas.
On achète, hélas, un prix de transport plus qu’un service de mise à disposition.
Pourtant, quand on mesure le coût d’une heure de retard dans une supply chain, les valeurs s’emballent de suite. Regardez les coûts journaliers des surestaries et il apparaît limpide que la maitrise du délai et du transport sont créateurs de valeur. Entre 54€ et 233€ / jour selon le retard et la nature des marchandises.
Le service logistique crée donc bien de la valeur, mais elle n’est pas toujours perçue dans le prix de vente du transport.
Externalités occultées et biais sociétal
Le transport supporte aussi une réputation négative : émissions de CO₂, congestion, bruit. Ces externalités réelles renforcent l’idée qu’il « coûte à la société ». Or, dans un contexte de transition écologique, réduire l’empreinte carbone logistique (flottes électriques, massification ferroviaire, planification d’itinéraires) nécessite d’investir ; mais si le secteur est perçu comme à « faible valeur», il est plus difficile d’y consacrer des capitaux.
Et il est aussi utile de rappeler que ces efforts d’investissements reposent sur des entreprises dont le résultat n’excèdent que très rarement les 1% ou 2%. Paradoxal pour autant de services rendus à l’économie ?
La réalité de la valeur ajoutée repose pourtant sur le transport
Dans une économie de services, la promesse faite au client repose souvent sur la vitesse, la disponibilité et la personnalisation : rien de tout cela n’existe sans un réseau de transport résilient et fiable. Autrement dit, le transport n’est plus seulement un moyen de déplacer un produit ; il est l’un des facteurs de production des services immatériels. La logistique haute performance agit comme une assurance qualité pour un grand nombre de business models « temps réel » et numériques.
Plusieurs leviers traduisent déjà ce changement :
- Traçabilité numérique (IoT) qui monétise l’information de localisation.
- Services à valeur ajoutée (conditionnement à bord, reverse logistics, personnalisation retardée) qui déplacent physiquement la chaîne de production jusque dans l’entrepôt.
- Nouvelle économie de l’expérience : le transport fait partie intégrante de l’expérience client (livraison programmée, installation, reprise).
Comment réhabiliter la valeur perçue
Plusieurs pistes pour ce chantier tant économique que culturel
- Mesurer autrement. Comptabiliser le transport non plus comme un coût direct, mais comme un poste capable de générer du chiffre d’affaires (taux de service, ventes additionnelles). L’indicateur « OTIF » (On Time In Full) propose déjà de lier la satisfaction client à la performance logistique. Nous progressons ! Même si la route est encore longue.
- Tarifer la fiabilité. Différencier le prix du transport selon la garantie de ponctualité ou de flexibilité, de la même manière qu’on vend des classes de service dans les télécoms.
- Intégrer la durabilité. Valoriser l’efficacité énergétique et la réduction d’empreinte carbone dans les appels d’offres donne au secteur une contribution visible aux objectifs RSE, donc à la création de valeur intangible.
Rapprocher finance et opérationnel. Le responsables supply chain doit évangéliser pour établir le lien entre performance logistique et marge brute.
Communiquer. Poursuivre inlassablement la pédagogie sur l’évolution du transport dans l’économie (surtout numérique) et au travers de statistiques réguliers. De ce point de vue, les syndicats professionnels ont un rôle de premier plan à maintenir dans “l’affûtage” de la valeur perçue du transport notamment.
En substance
Dès que l’on adopte une approche chaîne de valeur étendue, on découvre dans le transport un multiplicateur économique : sans transport, pas de commerce en temps réel, pas de services à la demande, pas de compétitivité globale. Réhabiliter la valeur ajoutée du transport, c’est donc changer les métriques et intégrer le temps, la fiabilité et la durabilité dans la définition même de la valeur. Un déplacement du regard qui, à l’heure de la transition numérique et écologique, devient indispensable pour orienter correctement les investissements publics et privés.