Les 3PL en France : les lutins du Père Noël à la mode Bleue Blanc Rouge
12 décembre 2024Dans cette série de 4 articles, BLOGISTICS donne la parole à Sandrine LETULLIER, prévisionniste de métier.
Sandrine travaille la question des prévisions au travers de son expérience, des questions qu’elle se pose régulièrement pour rester dans le rythme et des méthodes qu’elle emploie pour produire des valeurs de qualité. Il ne sera pas question d’innovation à tout crin sur le sujet de la prévision. Cet axe a fait ou fera l’objet d’autres articles. Cette série d’article traitera plutôt du cheminement qu’il faut emprunter pour exploiter le graal de la supply chain : la prévision de la demande pour maitriser le stock. Poursuivons donc avec le troisième article qui considère le cycle de la prévision.
Le cycle de la prévision : maîtriser les données
Un travail technique mais une ouverture aux autres services absolument essentielle.
Le travail statistique, première étape clé
Travail statistique sur l’historique de vente
Quelques pré-requis issus de mon expérience :
Les données – souvent des quantités – doivent être faciles à extraire, faciles à vérifier et fiables.
Des questions précises sur le périmètre de l’historique à travailler :
- Les expéditions ?
- Les commandes même si non expédiées ?
- Les sorties de production ?
- Les reliquats ?
Je ne pourrai pas répondre à votre place, chaque entreprise reste libre de décider de son périmètre le plus pertinent. Cependant, si je travaille sur la partie « expéditions », est-ce qu’il me manquera des données (lors de rupture par exemple…) ? Si j’intègre les commandes : a-t-on des doublons avec du report de carnet ? Comment sont gérées les saisies par les ADV ou les commerciaux ? … Dans mon expérience, nous avons décidé de travailler avec les quantités expédiées uniquement car nous avons du report de commande et avons accès aux quantités de commandes saisies non expédiées.
Cas 1 Le produit avec un historique de vente
Ce cas requiert idéalement 3 ans minimum, afin de comprendre la saisonnalité et la tendance des ventes.
Le but est d’analyser cet historique des ventes et de dépolluer c’est-à-dire : corriger les valeurs aberrantes. C’est un exercice très important pour avoir un historique fiable sur lequel nous pouvons travailler et projeter proprement. Il faut donc nettoyer les incohérences c’est-à-dire les ventes à caractère exceptionnel (PIC ou creux – déjà vu dans l’article 2). Voici des exemples d’événements qui vont provoquer un creux dans vos ventes qui ne se reproduiront pas dans le futur, donc des ventes à corriger afin de ne pas indiquer une baisse des ventes :
- Promotion d’un concurrent qui rend le produit + attractif : pendant cette promotion, mon produit se vend moins.
- Une rupture de produit, dans ce cas, je ne peux pas livrer le client.
- Lancement d’un lot avec le même produit : le client fera un choix entre le lot ou le produit unitaire – Nous vendrons donc moins de produit unitaire. Nous appelons cela de la cannibalisation des ventes.
Exemples d’événements qui vont provoquer un pic exceptionnel des ventes à ne pas reproduire dans le futur :
- Votre commercial lance une promotion valable sur une durée limitée,
- Un concurrent est en rupture,
- Un événement sportif, économique,
- Un événement épidémique : Covid, ça vous parle ??? Les ventes de Gel hydroalcoolique ont été anormales,
Cet historique dépollué de pic et / ou de creux permet de calculer statistiquement une prévision des ventes que je qualifierai de « fond de rayon ». Dans l’idéal, il faudrait pouvoir anticiper ces événements. Mais dans la pratique, on s’en aperçoit en faisant l’analyse – donc une fois que l’événement est passé. Il est donc primordial d’avoir les bons interlocuteurs pour trouver la bonne explication et avoir + de détails.
Comment dépolluer l’historique ?
Dans la plupart des cas appuyez vous sur :
- Le passé du même mois /même semaine et regarder la tendance pour corriger.
- Le portefeuille de commande non expédiées
- L’historique des anciennes opérations marketing / commerciales déjà faites.
Quelques nuances sont à prendre en compte cependant.
# Le cas d’un lancement d’un lot avec le même produit :
Attention si je vends 1 000 lots, cela ne veut pas dire que j’aurai vendu 1000 unités de + sur le produit unitaire. C’est à prendre en compte mais avec une proportion moindre, donc l’analyse du passé est aussi importante. De plus, la cannibalisation n’est pas toujours sur le mois de l’opération mais + tard.
Exemple : Au lieu de vendre 1 boite de lait, nous proposons 1 lot « 1 boite achetée = 30% de remise sur la seconde boite ». Sur le 1er mois = pas de cannibalisation car nos clients veulent du stock, par contre son sell-out sur le produit unitaire est plus faible. Donc notre sell-in sur le lait en code unitaire est amoindri en M+1, M+2 et M+3.
Si vos commerciaux lancent une promotion valable sur une durée limitée : essayez de le challenger, sait-il estimer le nombre de clients qui souhaitera profiter de l’offre ? Avez-vous déjà eu une offre de même ordre sur ce produit ou produit similaire ?
# Le cas d’un concurrent en rupture
A-t-on une idée des parts de marché de ce concurrent et notre part de marché et donc peut-on calculer la quantité que l’on peut avoir en plus ?
Le recours aux modèles statistiques
Si vous avez la chance de pouvoir travailler via un outil de prévision, vous pourrez utiliser plusieurs modèles statistiques voire même intégrer de l’IA.
En effet, grâce à l’utilisation des outils métier, nous nous posons de moins en moins de question sur les méthodes statistiques à utiliser. Les logiciels calculent et challengent eux-mêmes les meilleures méthodes de calcul à utiliser. De plus, les entreprises développent de plus en plus de méthodes ou d’automatisme en utilisant l’intelligence Artificielle.
Parlons de quelques méthodes utilisées :
- Le lissage exponentiel simple double ou triple : méthode qui permet de donner des poids plus important aux valeurs récentes et des poids décroissants aux valeurs anciennes.
- Box jenkins : méthide statistique qui requiert une longue série de données pour être pertinent dans son utilisation. Cette méthode calcule des corrélations entre les variables qui peuvent éclairer la tendance. Technique mais efficace quand le pool de data est présent et que le prévisionniste en charge est sensibilisé aux statistiques
- Moyennes mobiles : c’est une moyenne dynamique, elle se recalcule dés que vous ajoutez une donnée. Vous pouvez choisir aussi le nombre de périodes à prendre en compte. C’est une méthode que je conseille sur des petites séries sans saisonnalités.
- Copie du passé : Ce n’est pas une méthode statistique mais très utile pour des produits sans évolution et qui ont tous les ans la même tendance. Je l’utilise lors sur des lots en offre commerciale qui se refait tous les ans sur la même période.
Cas 2 Le produit remplaçant
Parlons maintenant du produit remplaçant : « switch article » c’est-à-dire un produit A qui devient produit B (pour changement de couleur, de formule, de format… par exemple). Pour ce faire, rien de plus simple, je prends en compte l’historique de l’ancien article (dépollué bien sûr – pour éviter de travailler les corrections d’historique) et je projette sur le futur code à la date prévue. Vous me direz « ok c’est easy ».
OUI MAIS ! Ne pas oublier la cause du switch :
- Cause réglementaire ?
- Cause marketing ?
- Ou les 2 car même si c’est une cause réglementaire le marketing peut en profiter pour modifier quelques éléments.
- La cannibalisation possible liée à l’écoulement du vieux produit VS le nouveau qui sera, de fait, sur le devant de la scène (étroitement lié à la couverture de stock de l’article 2)
Le marketing et le commerce vont vouloir reparler du produit, retravailler le positionnement produit – le tout dans le but d’augmenter les ventes.
Reprendre simplement l’historique de l’ancien code (sans valeur ajoutée du prévisionniste) va certainement être trop loin des ventes au « re-lancement » produit. Il sera certainement important d’ajouter des événements pour booster les prévisions et indiquer une augmentation des ventes au logiciel. Ce qui peut être fait dans ce cas : remplacer les ventes de la dernière année par les ventes de l’année n-2.
Cas 3 Le nouveau produit
Nous pouvons faire une première proposition si le lancement concerne un produit similaire.
Exemple : des lingettes vendues par paquet de 60 et nous faisons un lancement d’un paquet de 28.
Lors d’une réelle nouveauté, l’échange entre le marketing, le commerce, la production, la finance et le prévisionniste devient primordial. A noter qu’il est également même avec une première proposition basée sur un produit proche. Combien doit-on produire pour que ce soit rentable ? En combien de temps le commerce pense écouler ce stock ? C’est avec ce dernier cas que l’on bascule sur l’enjeu central de la prévision : la collaboration.
A noter que cette première étape méthodologique et rationnelle vise à produire la prévision dite initiale. C’est la matière première raffinée qui sera présentée aux autres services avant polissage et validation finale.
Des données, mais aussi du collaboratif
Avec mon expérience et les différents profils que j’ai déjà eu dans l’équipe, je me suis rendue compte qu’un bon prévisionniste n’est pas toujours un(e) statisticien(ne). C’est une personne qui aime l’analyse, certes, mais surtout qui est curieuse, qui collabore, et sait convaincre. (Mais ce n’est que mon avis).
Au travers des 3 cas, il est facile d’imaginer que toutes les décisions ne peuvent pas être prises par une seule personne.
- apprécier les tendances
- évoquer l’impact financier tant pour les achats que pour les ventes
- le dimensionnement des stocks selon la couverture de stock ciblée
- valider les hypothèses de travail avancées quant à la prise en compte des nouvelles spécificités du produit
- tenir compte de l’occupation des lignes de production actuelle et à venir
- alerter sur un dévissage des ventes perçu dans l’analyse régulière
Ces échanges se font lors de réunions collaboratives pour passer d’une prévision initiale à une prévision consensuelle. Ce sera l’objet de l’épisode 4.
Sandrine