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11 janvier 2024Les évolutions de la réglementation ICPE
Depuis la naissance de l’industrie au sens moderne du terme, les accidents industriels ont mis en lumière les risques et dangers inhérents à telle ou telle activité. Qu’il s’agisse d’accidents significatifs ou de véritables tragédies, la survenance de sinistres non anticipés a constitué le catalyseur d’un enrichissement constant de la liste des activités considérées comme dangereuses et de la réglementation encadrant leur exercice.
Une prise de conscience qui remonte à la fin du 18ème siècle
Le premier accident industriel réellement recensé est celui de l’explosion de la fabrique de poudre de Grenelle. Nous sommes en 1794, en plein régime révolutionnaire. L’explosion de l’usine, située à proximité de Paris, fait 1 000 morts. Cet incident éveille les consciences sur les risques et les nuisances pouvant être générés par l’activité humaine.
En 1806, le préfet de police de Paris oblige les exploitants des installations considérées dangereuses ou insalubres à se déclarer.
En 1810, cette obligation est étendue à l’ensemble du territoire français pour les établissements dangereux, insalubres ou incommodes. C’est le décret impérial du 15 octobre 1810 (dit décret Le Chapelier) qui constitue le socle fondateur de la réglementation sur les installations classées en France. Il prévoyait :
- Contrôle des activités industrielles : le décret visait à établir un contrôle sur les activités industrielles considérées comme potentiellement dangereuses pour la sécurité publique. Cela incluait notamment les usines produisant des substances chimiques, des explosifs, et d’autres matériaux susceptibles de présenter des risques.
- Autorisations préalables : Les exploitants d’installations industrielles visées par le décret devaient obtenir une autorisation préalable pour exercer leurs activités. Cette autorisation était délivrée par l’administration locale et était soumise à certaines conditions de sécurité.
- Contrôles réguliers : Le décret prévoyait des mécanismes de contrôle régulier des installations pour s’assurer de leur conformité aux normes de sécurité établies, ce qui a été le précurseur de l’inspection des installations classées.
1810-1971 : de timides évolutions
Il faut attendre plus d’un siècle après le décret Le Chapelier pour que la loi du 19 décembre 1917 vienne simplifier la procédure pour les établissements les moins dangereux. La procédure de simple déclaration remplace alors l’autorisation préalable systématique pour ces établissements.
L’inspection des installations classées voit le jour après-guerre. Lors de sa création, elle dépendait de l’inspection du travail ; vers la fin des années 60, elle se trouve rattachée au ministère des mines puis au ministère de l’environnement dès sa création en 1971.
L’accident de SEVESO en 1976 : un tournant dans la réglementation.
En 1976 survient un accident industriel dramatique sur la commune de SEVESO en Italie : la dispersion accidentelle de dioxine, un composé extrêmement toxique pour l’homme et l’environnement.
Cette loi constitue une étape fondamentale dans la réglementation des installations classées en France. Elle élargit le champ d’application en classant les installations selon leur dangerosité. La création du Comité Technique Permanent des Installations Classées (CTPIC) renforce l’expertise technique dans l’établissement des règles. La loi introduit l’évaluation des risques, des pouvoirs accrus des autorités, et des sanctions pénales en cas de non-conformité, tout en mettant l’accent sur l’information et la participation du public face aux risques industriels. Ces mesures visent à améliorer la sécurité et la transparence dans la gestion des installations à risques.
Impact Européen
En Europe, l’accident de SEVESO incite les Etats européens à se doter d’une politique commune en matière de prévention des risques industriels majeurs. Le 24 juin 1982, la directive 82/501/CEE dite « SEVESO I » concrétise cette décision. Elle s’applique aux Etats comme aux industriels.
Elle introduit le concept de zones à risque spécifiques (zones Seveso) autour des installations à haut risque, imposant des obligations strictes en matière de prévention des accidents majeurs et de protection de la santé humaine et de l’environnement. Des critères de classement des substances dangereuses sont mis en place ; des plans d’urgence, d’intervention, et d’information du public deviennent exigés.
1982-2003 : les accidents industriels engendrent des révisions de la réglementation.
En 1984, la catastrophe de Bhopal, en Inde, a été caractérisée par la fuite massive de gaz toxique dans une usine de pesticides, entraînant l’une des pires catastrophes industrielles de l’histoire, causant des milliers de décès et des effets à long terme sur la santé des survivants.
Puis, en 1986, le Rhin est pollué par le déversement de 30T de pesticides mercuriels suite à l’incendie d’un entrepôt à Bâle en Suisse.
En 1987, la directive 82/501/CEE « Seveso I » a été amendée par la directive 87/216/CEE, communément appelée « Seveso II », introduisant des exigences plus strictes en matière d’évaluation des risques, de prévention des accidents et d’information du public. Seveso II élargit le champ d’application aux industries chimiques et pétrochimiques, renforce les exigences de notification des autorités, et introduit des critères de seuil quantitatifs pour le classement des installations.
Au début des années 2000, une nouvelle vague d’accidents industriels marque l’Europe :
- Janvier 2000 – Baïa Mare – Roumanie : pollution du Danube par des Cyanures,
- Mai 2000 – Enschede – Pays Bas : explosion d’artifices
- Septembre 2001 – Toulouse – France : explosion de l’usine d’engrais AZF.
En France, la loi du 30 juillet 2003 vient renforcer la prévention des risques. En parallèle, le nombre de contrôles de l’inspection des installations classées est drastiquement augmenté.
Le canevas réglementaire actuel
En Europe, la directive 2012/18/UE dite « directive SEVESO 3 » est adoptée afin de renforcer la prévention des accidents majeurs. Elle impose notamment la mise en œuvre d’un système de gestion et d’une organisation (ou système de gestion de la sécurité) proportionnés aux risques inhérents aux installations est notamment imposée à l’exploitant. Elle est en vigueur à ce jour (pour information, on dénombre environ 1300 établissements classés « SEVESO » en France).
La directive 2010/75/EU relative aux Emissions industrielles (directive dite « IED » pour Industrial Emissions Directive) impose une approche globale et concerne les installations industrielles les plus polluantes. L’approche intégrée de la réduction de la pollution consiste à prévenir les émissions dans l’air, l’eau, le sol, la gestion des déchets, et lorsque cela s’avère impossible, à les réduire à un minimum afin d’atteindre un haut niveau de protection de l’environnement dans son ensemble par la mise en œuvre des meilleures technologies disponibles. Il existe environ 7 000 installations classées IED en France.
En France, les installations classées pour l’environnement sont régies par le code de l’environnement en plus des directives européennes. Elles doivent respecter l’ensemble des textes, normes, lois, règlements et bonnes pratiques décrites dans les rubriques de la nomenclature ICPE auxquelles elles sont soumises. Ces textes législatifs ou réglementaires sont en évolution constante au gré des évolutions technologiques mais surtout suite aux retours d’expériences des incidents industriels majeurs survenant en France ou dans le monde.
Le dernier incident majeur en date est celui de l’incendie de Rouen en 2019. Il a entrainé la mise à jour, le 24/09/2020, de la doctrine et de la réglementation en termes de stockage des combustibles en entrepôts couverts et des produits inflammables en contenants fusibles, mais aussi en améliorant la réflexion sur les produits de dégradation issus d’un sinistre et sur les moyens permettant de mesurer les impacts sur l’environnement à court terme.
Quid de l’avenir ?
En 2023, la France a été touchée par plusieurs incidents sur des stockages de batteries au lithium. Ces incidents ont entraîné des pollutions importantes des sols et des cours d’eau. En réponse à ces incidents, le gouvernement français a annoncé une série de mesures pour renforcer la réglementation des stockages de batteries au lithium. En parallèle, le gouvernement français a annoncé le renforcement du nombre d’inspecteurs DREAL. Cette mesure devrait permettre de renforcer le contrôle des ICPE et de prévenir les accidents.
Marie Curie disait « La réglementation est nécessaire pour protéger l’environnement et la santé des populations, mais elle doit être équilibrée pour ne pas entraver l’innovation et le développement économique ».
Il ne fait donc aucun doute que la réglementation sur les ICPE continuera d’évoluer afin de considérer les risques nouveaux, induits par les technologies nouvelles ou les incidents / accidents sur les technologies existantes.
Une démarche vertueuse
Cette démarche de progrès continu va clairement dans le sens de l’intérêt commun car elle vise à protéger contre l’apparition de risques. Toutefois, elle engendre également pour les exploitants un épaississement du millefeuille réglementaire, rendant leur travail mais également les relations avec les autorités de tutelles de plus en pénibles et complexes et créant de fait, un risque de non prise en compte d’un réglementation par omission. Le choc de simplification, tant promis depuis 2013, sera donc probablement la planche de salut du maintien de l’efficacité de la réglementation ICPE dans l’avenir.
Par Frédéric LEAUTEY – dirigeant de EI2CS conseil