Logistique industrielle : comment dynamiser son commerce à l’international ?
22 décembre 2024Dans cette série de 4 articles, BLOGISTICS donne la parole à Sandrine LETULLIER, prévisionniste de métier.
Sandrine travaille la question des prévisions au travers de son expérience, des questions qu’elle se pose régulièrement pour rester dans le rythme et des méthodes qu’elle emploie pour produire des valeurs de qualité. Ce dernier article aborde l’enjeu de la collaboration et du consensus. Gros mot de la langue Française, s’il on en croit la dernière motion de censure, mais qui reste un principe de travail fondamental et plein de bon sens pour faire performer la Supply Chain.
De la donnée au consensus
Comme je vous l’écrivais précédemment, un bon prévisionniste n’a pas toujours qu’un unique parcours statistique. C’est une personne qui aime l’analyse, mais surtout qui est curieuse, qui collabore, et sait convaincre (ou doit vite l’apprendre).
Une collaboration variable selon les contextes du produit
Lorsque vous avez travaillé vos prévisions, il faut aussi s’assurer que vous êtes dans la bonne tendance. La prévision initiale doit alors être partagée avec le commerce et/ou le marketing afin de valider ce que l’on projette. Et d’affiner la prévision initiale pour produire des données collaboratives.
1/ Sur les articles avec Historique
Vu dans l’article précédent, nous pouvons alimenter les données du futur avec les modèles du passé. Dans ce cas, la prévision initiale est suffisamment fiable pour rapidement devenir une donnée collaborative voir consensuelle.
2/ Sur les nouveautés
Si c’est un produit remplaçant : nous avions évoqué de « récupérer l’historique » du code en fin de vie pour alimenter les données du futur code. Mais il ne faut pas hésiter à poser les questions de mise en avant, d’offre, de couleur, etc… Ce sont des données que j’oubliais de poser au début de mon expérience et je me suis vite rendu compte qu’il y avait un impact sur la qualité de la prévision de la demande.
Il faut aussi parler de la date de « switch » car il faut écouler les stocks du 1er produit et voire même les composants qui ne serviront pas pour produire le futur article. Doit-on switcher en pleine saison ou avant/après. Donc toujours avoir un avis du commerce tout en limitant la destruction des composants qui fera bondir le service finance.
Par contre, nous n’avions pas évoqué le lancement de produit similaire. Nous utilisons dans ce cas l’historique d’une référence analogue tout en ajustant à la hausse ou à la baisse.
Exemple : Lancement d’un produit en 100ml alors que nous avons déjà le même produit en 1L :
- Solution 1 : Nous avons déjà d’autres produits qui ont des gros formats et des petits formats alors nous pouvons analyser et utiliser ces données en projection ;
- Solution 2 : le marketing connait la part de marchés des concurrents en gros format vs. petit format. Dans ce cas, j’utilise l’historique du produit en 1L et j’applique un prorata. Ensuite il faudra suivre absolument les ventes et la tendance lors des premières commandes au lancement pour ajuster.
De mon côté, avec le recul, je conseille d’utiliser les 2 solutions : s’appuyer sur un historique et apporter ses propres arguments tout en demandant les informations de part de marché. Cela permet d’avoir un échange sur des 1eres données et peaufiner un consensus. Dans notre métier de prévisionniste, nous devons maitriser la donnée mais également influencer. Et pour cela, le principal atout est l’art de poser les questions et surtout d’en écouter les réponse.
Lors d’une réelle nouveauté, le prévisionniste est souvent sollicité trop tardivement car il s’appuie parfois sur ce qui a été décidé par un « comité de pilotage » composé d’autres services que la Supply Chain…
- Le marketing, souvent la personne qui est à l’initiative de la demande,
- La production, qui doit donner les conditions de production,
- Les acheteurs pour connaitre les conditions des fournisseurs, les délais…
- Le contrôle de gestion, qui doit calculer un prix de revient et un Prix minium de vente
- Le commerce, qui doit se prononcer sur la pertinence du produit en fonction de la concurrence, du prix,
- …
Pourtant sur certains produits, le prévisionniste peut avoir de bonnes idées avec une analyse des autres lancements et la garantie d’une vision transversale permanente.
Tous ces échanges se font lors de réunions collaboratives pour passer d’une prévision initiale à une prévision consensuelle. Cette dernière prévision sert de carburant au processus S&OP (Sales & OPerations) ou PIC en Français (Plan Industriel et Commercial).
Une collaboration variable selon les contextes du produit
Puis au lancement, il faut toujours faire un suivi serré des saisies commerciales et collecter plusieurs indicateurs essentiels.
Des insights qualitatifs :
- A minima des retours clients : comment le produit est-il accueilli et comment le client compte le mettre en avant pour le faire sortir ?
Des insights quantitatifs
- Taux de réassort du produit
- Sell-out (ventes aux consommateurs)
- Evolution de la part de marché sur le segment travaillé
3/ Les fins de vie des produits
Dans le cycle de vie d’un produit, il faut aussi gérer la fin de vie – proposée par le commerce ou le marketing, le service réglementaires, mais aussi par la supply, la production, la logistique (colis trop souvent abimés, vente en chute vs. Production minimum ou appro minimum des composants…). La prévision initiale devient alors un calcul d’atterrissage après un plan de vol plus ou moins turbulent.
- Calculer la fin de stock du produit fini et faire valider le coût de destruction des composants ou demander de produire à la fin de stock.
- Se poser la question si un autre produit sera donc + vendu car acheté en remplacement de celui que l’on arrête.
Cette décision impacte donc aussi fortement le travail du prévisionniste qui fait face à une nouvelle contrainte pour un nouveau contexte. La routine habituelle en somme 🙂
Un consensus à destination de l’outil industriel
Comme vous l’avez remarqué, je parle beaucoup du commerce et du marketing, mais il est important aussi de parler du service industriel. Pour rappel nos données de prévision de vente doivent permettre :
- 1/ de calculer un taux de couverture et donc le bon niveau de production :
- la date de production
- la quantité à produire
- 2/ les dates d’approvisionnement des composants et la quantité (via les nomenclatures produits car pour rappel la prévision de vente est faite sur le produit fini)
Toujours dans l’objectif d’éviter la rupture et le surstock ! En guise de livrable de ce travail de prévision est produit la prévision consensuelle ou dans sa forme la plus affinée. Cela permet de figer une ligne de travail collaborative et permet de calculer la charge machine pour le service industriel. L’organe privilégié de ce partage de la prévision consensuelle est le processus PIC (ou S&OP). Le but de ces réunions est, entre autres, d’arbitrer et d’optimiser les charges machines.
- Demander s’il est possible d’accélérer les ventes si une machine est en sur-capacité, en répondant à des appels d’offre à des prix nettement inférieur par exemple.
- Délester 1 machine pour fabriquer sur une autre en réfléchissant « parc machines » et non produit, peut être en passant par des adaptations de packaging.…
- Prévenir le commerce que nous ne pourrons pas répondre à 100% de la demande. La solution qui est proposée peut-être le mise « sous quota » pour pouvoir satisfaire la plupart des clients au lieu de créer une rupture annuelle, ou de ne servir que les clients les plus importants (en fonction de votre définition : Chiffre d’Affaires, marge, profondeur de gammes, relationnel, opportunités …? ).
D’une solide stratégie de production découle la nécessité de maitriser son stock au travers d’un cycle de travail de la prévision qui repose sur 2 gros blocs : la maitrise statistique d’une part et la capacité d’influence d’autre part pour affûter la prévision initiale en prenant en compte un maximum de contraintes toujours économiques et parfois divergentes.
Un travail de funambule qui exige rigueur et concentration mais qui confère systématiquement une prise de hauteur engageante et stimulante.
Sandrine