Collaboration et consensus : une prévision ne se fait jamais seul.e – Episode 4/4
26 décembre 2024Au terme de cette série d’articles dédiés à la stratégie de production, à la gestion du stock par la prévision de la demande et au cycle de la prévision, il est temps de se concentrer sur le processus clé qui synthétise tous ces concepts : le S&OP (Sales and Operations Planning) ou PIC (Plan Industriel et Commercial) en français. Sandrine a abordé ces notions dans les 2 derniers épisodes de son témoignage. Dans cet article, la notion est travaillée pour en dégager les grands principes de fonctionnement. Cet outil collaboratif, véritable noyau de la gestion intégrée de la Supply Chain, représente bien plus qu’un processus opérationnel : c’est une vision stratégique qui assure la cohérence entre les objectifs de l’entreprise et ses capacités opérationnelles.
Le S&OP en quelques mots
Le S&OP est un processus de planification intégrée, visant à aligner les besoins de la demande avec les ressources disponibles, tout en garantissant la rentabilité et la satisfaction des clients. Il repose sur :
- Un horizon moyen terme : généralement de 6 à 18 mois.
- Une approche multidisciplinaire : vente, marketing, finance, production et Supply Chain collaborent.
- Un cycle mensuel ou trimestriel : avec des ajustements continus entre les dates planifiées
Le S&OP agit comme une boussole, orientant les décisions de l’entreprise pour maximiser l’efficacité, réduire les coûts inutiles et limiter les risques liés à l’incertitude de la demande.
Le feedback terrain :
Nous avons sollicité l’avis de Christine, une experte S&OP pour animer ce processus depuis plusieurs années maintenant, pour compléter cette première définition. Voici ces 3 feedbacks :
- le S&OP sert à arbitrer, prendre des décisions dans le court et moyen terme sur les allocations-capacités-besoins de production ; et sur le long terme sur des besoins d’investissements industriels (machines, RH…)
- le S&OP sert à définir les besoins de production basés sur des objectifs de stocks. Il permet donc de donner de la visibilité sur les projections de stocks qui peuvent ensuite être valorisées pour les collègues du contrôle de gestion-financier pour affiner les atterrissages de fin d’exercice fiscal
- le S&OP sert à créer du lien entre les ventes (Commercial) et les Opérations (Production) ; le S&OP étant bien souvent la seule instance où ces 2 services travaillent ensemble. Et ça, ce n’est pas rien !
- le S&OP doit être mesuré pour d’une part s’assurer de son efficacité et d’autre part disposer d’éléments d’alertes complémentaires.
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- Pour l’efficacité, les indicateurs comme la fiabilité des prévisions ou encore le taux d’adhérence des plans de production donneront un gage de la performance du processus S&OP
- Pour les alertes complémentaires, il s’agit plutôt d’indicateurs sur les stocks afin d’identifier les stocks dormants, switchs, arrêts produits pour lesquels il faudra challenger le service commercial pour les écouler dans les meilleures conditions
Les services impliqués dans la vie du S&OP
Un processus S&OP performant repose sur l’implication active de plusieurs services, chacun jouant un rôle spécifique dans la construction du plan :
Le service Commercial
Ce département fournit les informations permettant d’affiner les prévisions de la demande basées sur des analyses de marché, des tendances et des retours terrain. Il joue également un rôle clé dans l’identification des opportunités et des risques commerciaux.
Le service Marketing
Le marketing apporte une perspective sur les lancements de produits, les cycles de vie des produits existants et les campagnes promotionnelles, ce qui aide à affûter les prévisions de la demande initiales travaillées par le prévisionniste.
La Production
Responsable des capacités industrielles, la production garantit que les plans sont réalisables en termes de volume, de délais et de qualité. Elle doit également anticiper les contraintes liées aux machines, aux horaires, aux créneaux dédiés à la maintenance ou à l’approvisionnement.
La Logistique et la Supply Chain
Ce service supervise les niveaux de stock, la planification des approvisionnements et les flux opérationnels pour s’assurer que les ressources sont disponibles au bon moment et au bon endroit. C’est aussi un service qui permet d’alerter sur les capacités d’absorption des pics d’activité et qui a “le nez” collé en permanence sur les stocks.
La Finance, contrôle de gestion
La finance valide la viabilité économique du plan S&OP, en veillant à ce que les décisions respectent la trajectoire budgétaire. Avec une analyse fine des coûts et des marges, ce service contribue à garantir un alignement optimal entre rentabilité et réalisations opérationnelles. Une fois ces services identifiés, il est capital d’asseoir la gouvernance de ce processus.
Le feedback terrain :
Le “owner” de ce processus EST forcément le service Supply Chain, et la personne qui le gère doit impérativement être le responsable Supply Chain ou le directeur Supply Chain. Le prévisionniste ne doit en aucun cas être le pilote de ce processus bien qu’il soit garant d’une bonne partie des données d’entrée clefs du processus. C’est une situation que Christine a parfois rencontré dans le cadre de ses nombreuses animations de S&OP et elle a toujours veillé a modifier ce point de gouvernance et de distinction des rôles de chacun dans ce processus.
Les étapes clés du processus S&OP
Pour garantir son efficacité, le processus S&OP suit un cycle structuré :
Collecte et analyse des données
Les prévisions de vente et les capacités de production sont passées au crible pour identifier les déséquilibres potentiels entre l’offre et la demande. C’est le temps de travail du prévisionniste durant lequel il exploite la prévision initiale comme vu dans la série d’articles dédiée à ce sujet.
Dans cette étape fondamentale, les prévisions de vente concernent aussi bien les produits sur stock que à la commande. Dans le second cas, la confirmation de la commande client est à impérativement obtenir du service commercial pour maintenir ou non la proposition de prévision. L’enjeu est de dépolluer les données du S&OP sur ces articles sensibles qui ne trouveraient pas de débouchés sans confirmation ferme de la commande.
Réunion de pré-S&OP
Les parties opérationnelles (logistique, production, finance) se réunissent pour résoudre les points de blocage et préparer un plan réaliste à soumettre au comité stratégique. C’est la prévision collaborative. Elle a pris son appui sur la prévision initiale et s’enrichit des éléments collectés.
Réunion S&OP
C’est ici que les arbitrages stratégiques sont effectués. Le comité valide le plan final, en veillant à aligner objectifs financiers et opérationnels. A ce stade, la prévision est dite consensuelle car elle engage l’entreprise au moment de la décision.
Mise en œuvre et suivi
Le plan validé est déployé. Des outils de suivi permettent d’évaluer la performance et d’ajuster en continu. En effet, bien que consensuelle, la prévision validée pourra subir des aléas pour lesquels il faudra apporter de nouvelles décisions possibles.
Les pièges à éviter dans le S&OP
Un S&OP mal conçu ou mal exécuté peut entraîner des dysfonctionnements graves. Voici les principales erreurs à éviter :
Données de mauvaise qualité
Une prévision basée sur des informations inexactes ou obsolètes déstabilise tout le processus. C’est une grande partie de la valeur ajoutée d’un travail de prévisionniste. Garantir que les prévisions initiales sont solides pour rendre l’édifice S&OP robuste dans son exécution.
Manque de collaboration
Si certains départements ne s’impliquent pas pleinement, le consensus devient impossible et les décisions prises risquent d’être biaisées. C’est certainement le point d’achoppement régulier dans l’animation de ce processus. Le travail du prévisionniste peut limiter cet écueil ainsi que sa capacité d’écoute et d’exposition des arguments pour ou contre.
Vision à court terme
Le S&OP doit permettre d’anticiper, pas seulement de réagir aux urgences. Si c’est le cas, ce n’est plus un S&OP mais un AIC (Animation à Intervalle Court souvent rencontré en production ou logistique pour cadre la journée de travail).
Arbitrages flous
Sans gouvernance claire, le processus peut devenir une source de conflits au lieu d’une plateforme de décisions structurées. La prévision, même collaborative, nécessite un “tampon” pour s’officialiser consensuelle et conduire les prochaines opérationnelles de l’entreprise.
En conclusion, le S&OP est le chaînon manquant qui relie les efforts de planification à une exécution réussie. Il assure une cohérence entre les priorités opérationnelles et les objectifs stratégiques, permettant ainsi à l’entreprise de :
- Réagir avec agilité face aux fluctuations de la demande.
- Optimiser ses ressources tout en limitant les coûts inutiles.
- Maximiser la satisfaction client grâce à une meilleure anticipation des besoins.
Dans un monde où les Supply Chains sont de plus en plus complexes et interconnectées, le S&OP n’est pas une option, mais une nécessité. Investir dans sa mise en œuvre et sa consolidation, c’est investir dans la résilience et la performance durable de l’entreprise.
Par Christine Lecoq & Pierre